« L’éducation sentimentale » est l’histoire d’un amour inassouvi. En 1840, Frédéric Moreau, dix-huit ans, rencontre, sur le vapeur qui le ramène chez lui à Nogent-sur-Seine, M. Arnoux, marchand de tableaux établi à Paris, et sa femme, dix ans plus vieille que Frédéric, dont il tombe immédiatement amoureux. Deux mois plus tard, Frédéric doit monter « faire son droit » à Paris, et se promet de revoir la jeune femme qu’il ne peut oublier.
La mère de Frédéric, veuve et bourgeoise de province peu fortunée, a de grandes ambitions pour son fils. Lui-même, jeune homme romantique, se rêve artiste ou politicien, du moins veut jouer un rôle dans la grande société parisienne. Il veut également conquérir Mme Arnoux, parangon de vertu, femme honnête et fidèle par principe et par raison. Ceci ne fait qu’attiser le désir de Frédéric qui finira par se consoler des rebuffades de Mme Arnoux dans les bras de Rosanette, également la maîtresse de M. Arnoux, jolie cocotte aussi légère et sensuelle que Mme Arnoux est chaste et réservée.
Difficile de résumer cette histoire, une succession de séquences très rapides qui s’enchaînent à un rythme soutenu, ce qui donne l’impression d’un texte haché laissant peu de respiration au lecteur. Cependant, en procédant par petites touches, Flaubert finit par composer un tableau réaliste de la vie parisienne des années 1840 à 1852. On y voit la bohème étudiante avec ses jeunes Rastignac qui rêvent de jouer les premiers rôles, le petit peuple exsangue qui laisse éclater sa colère en 1848 et sera trahi par la réaction, les salons mondains où se côtoient politiciens, capitalistes et hommes d’Etat qu’aucune révolution ne peut ébranler, les fêtes canailles où les bourgeois viennent prendre un plaisir hypocrite, le champ de course et le théâtre où il s’agit au contraire de se montrer, etc.
Le livre vaut également par sa profondeur psychologique. Frédéric Moreau semble à la lisière de plusieurs mondes, fréquentant aussi bien des socialistes révolutionnaires que de grands bourgeois, ne s’intégrant réellement ni à l’un ou l’autre univers. Velléitaire, ses divers projets, écrivain, directeur de journal, député ou haut-fonctionnaire, ne verront jamais le jour. Il est un perpétuel spectateur des évènements, comme en marge de sa propre vie. Son éducation sentimentale se ressent de cette impuissance à vivre pleinement, partagé entre Mme Arnoux, qui est son seul véritable amour mais est inaccessible, Rosanette, qui lui apporte la satisfaction physique mais est trop frivole, Mme Dambreuse, qui doit lui donner une position sociale mais est trop hautaine, et Louise, qui l’aime véritablement mais est trop provinciale.
Comme toujours chez Flaubert, pas de grand destin, juste des êtres communs, banals, en butte à la médiocrité de la société du 19ème siècle. Moins passionnant que « Madame Bovary », le dernier roman de Flaubert reste une œuvre intéressante qui témoigne des mœurs d’une époque. Les deux derniers chapitres, qui se déroulent en 1867 et 1869, apportent en outre une pointe de nostalgie douce-amère qui ne peut laisser le lecteur indifférent.